Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/512

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de cela, lui répondis-je, et monsieur ne la vendra point. Tant mieux, reprit-elle ; il aurait eu de la peine à s’en défaire ici ; mais, quoique je ne m’en sois pas accommodée, ajouta-t-elle en s’adressant à lui, pourrais-je vous être bonne à quelque chose, monsieur ? Vos parents, à ce que m’a dit ma nièce, sont nouvellement arrivés en ce pays-ci, ils y ont des affaires ; et s’il y avait occasion de les y servir, j’en serais charmée.

J’aurais volontiers embrassé ma tante, tant je lui savais gré de ce qu’elle venait de dire ; le jeune homme rougit pourtant, et j’y pris garde ; il me parut embarrassé. Je n’en fus point surprise ; il se douta bien qu’à cause de sa mauvaise fortune, ma tante avait été curieuse de voir comment il était fait ; et on n’aime point à être examiné dans ce sens-là, on est même honteux de faire pitié.

Sa réponse n’en fut cependant ni moins polie ni moins respectueuse. J’instruirai mon père et ma mère de l’intérêt que vous daignez prendre à leurs affaires, repartit-il, et je vous supplie pour eux, madame, de leur conserver des intentions si favorables.

À peine eut-il prononcé ce peu de mots, que madame Dursan resta comme étonnée. Elle garda même un instant de silence.

Votre père est-il encore malade ? lui dit-elle après. Un peu moins depuis hier soir, madame, répondit-il. Et de quelle nature sont ses affaires ? ajouta-t-elle encore.

Il est question, reprit-il avec timidité, d’un accommodement de famille, dont il vous instruira lui-même quand il aura l’honneur de vous voir ; mais de certaines raisons ne lui permettent pas de se montrer sitôt. Il est donc connu ici ? lui dit-elle. Non, madame ; mais il y a quelques parents, reprit-il.

Quoi qu’il en soit, répondit-elle en prenant mon bras pour l’aider à marcher, j’ai des amis dans le pays, et je vous répète qu’il ne tiendra pas à moi que je ne lui sois utile.

Elle partit là-dessus, et m’obligea de la suivre, contre mon attente ; car il me semblait que j’avais encore quelque