Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/513

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chose à dire à ce jeune homme. Lui, de son côté, paraissait ne m’avoir pas tout dit non plus, et ne croyait pas que je me retirerais si promptement. Je vis dans ses yeux qu’il me regrettait, et je tâchai qu’il vît dans les miens que je voulais bien qu’il revînt, s’il le fallait.

Je suis de ton avis, me dit madame Dursan quand nous fûmes seules, ce garçon-là est de très bonne mine, et ceux à qui il appartient sont sûrement des gens de quelque chose. Sais-tu bien qu’il a un son de voix qui m’a émue ? En vérité, j’ai cru entendre parler mon fils. Que te disait-il quand je suis arrivée ? Qu’une amie que son père avait trouvée, repris-je, l’avait tiré du besoin d’argent où il était, et qu’il vous rendait mille grâces de la somme que vous offriez de prêter.

À te dire le vrai, me répondit-elle, ce jeune homme parle d’un accommodement de famille, et je crains fort que le père ne se soit autrefois battu ; il y a toute apparence que c’est pour cela qu’il se cache, et tant pis ; il lui sera difficile de sortir d’une pareille affaire.

On vint alors nous interrompre ; je laissai madame Dursan, et j’allais dans ma chambre pour y être seule. J’y rêvai assez longtemps sans m’en apercevoir ; j’avais voulu remettre à ma tante les dix écus qu’elle m’avait donnés pour le jeune homme, mais elle me les avait laissés. Il reviendra, disais-je, il reviendra ; je suis d’avis de garder toujours cette somme ; il ne sera peut-être pas fâché de la retrouver ; et je m’applaudissais innocemment de penser ainsi, j’aimais à me sentir un si bon cœur.

Le lendemain, je crus que la journée ne se passerait pas sans que je revisse le jeune homme ; c’était là mon idée, et l’après-dînée, je m’attendais à tout moment qu’on allait m’avertir qu’il me demandait. Cependant la nuit arriva sans qu’il eût paru ; mon bon cœur, par un dépit imperceptible, et que j’ignorais moi-même, en devint plus tiède.

Le jour d’après, point de visite non plus. Malgré ma tiédeur, j’avais porté sur moi jusque-là l’argent que je lui destinais ; mais alors : Allons, me dis-je, il n’y a qu’à le