Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien qui pût apprendre à qui j’appartenais. On eut beau recourir au registre qui est toujours chargé du nom des voyageurs, cela ne servit de rien ; on sut bien par là qui ils étaient tous, à l’exception de deux personnes, d’une dame et d’un cavalier, dont le nom assez étranger n’instruisit de rien, et peut-être qu’ils n’avaient pas dit le véritable. On vit seulement qu’ils avaient pris cinq places, trois pour eux et une petite fille, et deux autres pour un laquais et une femme de chambre qui avaient été tués aussi.

Par tout cela ma naissance devint impénétrable, et je n’appartins plus qu’à la charité de tout le monde.

L’excès de mon malheur m’attira d’assez grands secours chez le curé où j’étais, et qui consentit, aussi bien que sa sœur, à me garder.

On venait pour me voir de tous les cantons voisins : on voulait savoir quelle physionomie j’avais, elle était devenue un objet de curiosité ; on s’imaginait remarquer dans mes traits quelque chose qui sentait mon aventure, on se prenait pour moi d’un goût romanesque. J’étais jolie, j’avais l’air fin ; vous ne sauriez croire comme tout cela me servait, combien cela me rendait noble et délicat l’attendrissement qu’on sentait pour moi. On n’aurait pas caressé une petite princesse infortunée d’une façon plus digne ; c’était presque du respect que la passion que j’inspirais.

Les dames surtout s’intéressaient pour moi au delà de ce que je puis vous dire ; c’était à qui d’entre elles me ferait le présent le plus joli, me donnerait l’habit le plus galant.

Le curé, qui, quoique curé de village, avait beaucoup d’esprit, et était un homme de très bonne famille, disait souvent depuis, que, dans tout ce que ces dames avaient alors fait pour moi, il ne leur avait jamais entendu prononcer le mot de charité c’est que c’était un mot trop dur, et qui blessait la mignardise des sentiments qu’elles avaient.

Aussi, quand elles parlaient de moi, elles ne disaient point cette petite fille ; c’était toujours cette aimable enfant.

Était-il question de mes parents ! c’étaient des étrangers, et sans difficulté de la première condition de leur pays ; il