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Ces dernières paroles m’échappèrent et me firent rougir, à cause du fils qui était présent ; peut-être je n’aurais rien dit des deux autres, s’il n’avait pas été le troisième.

Aussi ce jeune homme, tout plongé qu’il était dans la tristesse, se baissa-t-il subitement sur ma main, qu’il prit et qu’il baisa avec un transport où il entrait plus que de la reconnaissance, quoiqu’elle en fût le prétexte ; et il fallut bien aussi n’y voir que ce qu’il disait.

Je me levai cependant, en retirant ma main d’un air embarrassé. Le père voulut par honnêteté se lever aussi pour me dire adieu ; mais, soit que le sujet de notre entretien l’eût trop remué, soit qu’avec la difficulté qu’il avait de respirer, il eût été considérablement affaibli par les efforts qu’il venait de faire pour arriver jusqu’à l’endroit du bois où nous étions, il lui prit un étouffement qui le fit retomber à sa place, où nous crûmes qu’il allait expirer.

Sa femme, qui était sortie du château pour nous rejoindre, accourut aux cris du fils qui ne furent entendus que d’elle. J’étais moi-même si tremblante qu’à peine pouvais-je me soutenir, et je tenais un flacon dont je lui faisais respirer la vapeur ; enfin son étouffement diminua, et madame Dursan le trouva un peu mieux en arrivant ; mais de croire qu’il pût regagner le carrosse de madame Dorfrainville, ni qu’il soutînt le mouvement de ce carrosse, depuis le château jusque chez elle, il n’y avait pas moyen de s’en flatter, et il nous dit qu’il ne se sentait pas cette force-là.

Sa femme et son fils, tous deux plus pâles que la mort, me regardaient d’un air égaré, et me disaient : Que ferons-nous donc ? Je me déterminai.

Il n’y a point à hésiter, leur répondis-je ; on ne peut mettre monsieur qu’au château même ; et pendant que ma tante est avec madame Dorfrainville, je vais chercher du monde pour l’y transporter.

Au château ! s’écria sa femme ; eh ! mademoiselle, nous sommes perdus ! Non, lui dis-je, ne vous inquiétez pas ; je me charge de tout, laissez-moi faire.

Dans le parti que je prenais, j’entrevis en effet que, de