Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/527

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précipitation nous nuirait peut-être, et sentirait la manœuvre ; que madame Dursan pourrait regarder toute cette aventure comme un tissu de faits concertés, et la maladie de son fils comme un jeu joué pour la toucher ; au lieu qu’en différant d’un jour, ou même de quelques heures, il allait se passer des événements qui ne lui permettraient plus la moindre défiance.

J’avais donné ordre qu’on allât chercher un médecin et un prêtre ; je ne doutais pas qu’on n’administrât M. Dursan ; c’était au milieu de cette auguste et effrayante cérémonie que j’avais dessein de placer la reconnaissance entre la mère et le fils ; et cet instant me paraissait infiniment plus sûr que celui où nous étions.

J’arrêtai donc ma tante : Non, lui dis-je, il n’est pas nécessaire que vous descendiez encore ; j’aurai soin que rien ne manque à l’ami de madame ; vous avez de la peine à marcher ; attendez un peu, ma tante ; je vous dirai comment il est. Si on juge à propos de le confesser et de lui apporter les sacrements, il sera temps alors que vous le voyiez.

Madame Dorfrainville, qui réglait sa conduite sur la mienne, fut du même sentiment. Dursan le fils se joignit à nous, et la supplia de se tenir dans sa chambre ; de sorte qu’elle nous laissa aller, après avoir dit quelques paroles obligeantes à ce jeune homme, qui lui baisa la main d’une manière aussi respectueuse que tendre, et dont l’action parut la toucher.

Nous trouvâmes la fausse Brunon baignée de ses larmes, et je ne m’étais point trompée dans mon pronostic sur son mari ; il ne respirait plus qu’avec tant de peine, qu’il en avait le visage tout en sueur ; et le médecin, qui venait d’arriver avec le prêtre que j’avais envoyé chercher, nous assura qu’il n’avait plus que quelques heures à vivre.

Nous nous retirâmes dans une autre chambre ; on le confessa, après quoi nous rentrâmes. Le prêtre, qui avait apporté tout ce qu’il fallait pour le reste de ses fonctions, nous dit que le malade avait exigé de lui qu’il allât prier madame