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Dursan de vouloir bien venir avant qu’on achevât de l’administrer.

Il vous a apparemment confié qui il est ? lui dis-je alors ; mais monsieur, êtes-vous chargé de le nommer à ma tante avant qu’elle le voie ? Non, mademoiselle, me répondit-il ; ma commission se borne à la supplier de descendre.

J’entendis alors le malade qui m’appelait d’une voix faible, et nous nous rapprochâmes.

Ma chère parente, me dit-il à plusieurs reprises, suivez mon confesseur chez ma mère avec madame Dorfrainville, je vous en conjure, et appuyez toutes deux la prière qu’il va lui faire de ma part. Oui, mon cher cousin, lui dis-je, nous allons l’accompagner ; je suis même d’avis que votre femme, pour qui elle a de l’amitié, vienne avec nous, pendant que votre fils restera ici.

Et effectivement il me passa dans l’esprit qu’il fallait que sa femme nous suivît aussi.

Ma tante, suivant toute apparence, ne manquerait pas d’être étonnée du message qu’on nous envoyait faire auprès d’elle. Je me souvins d’ailleurs que la première fois qu’elle avait parlé au jeune homme, elle avait cru entendre le son de la voix de son fils, à ce qu’elle me dit ; je songeai encore à cette bague qu’elle avait trouvée si semblable à celle qu’elle avait autrefois donnée à Dursan. Et que sait-on, me disais-je, si elle ne se rappellera pas ces deux articles, et si la visite dont nous allons la prier à la suite de tout cela, ne la conduira pas à conjecturer que ce malade qui presse tant pour la voir est son fils lui-même ?

Or, en ce cas, il était fort possible qu’elle refusât de venir ; d’un autre côté, son refus, quelque obstiné qu’il fût, n’empêcherait pas qu’elle n’eût de grands mouvements d’attendrissement, et il me semblait qu’alors Brunon qu’elle aimait, venant à l’appui de ces mouvements, et se jetant tout d’un coup en pleurs aux genoux de sa belle-mère, triompherait infailliblement de ce cœur opiniâtre.

Ce que je prévoyais n’arriva pas ; ma tante ne fit aucune