Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/529

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des réflexions dont je parle, et cependant la présence de Brunon ne nous fut pas absolument inutile.

Madame Dursan lisait quand nous entrâmes dans sa chambre ; elle connaissait beaucoup l’ecclésiastique que nous lui menions, elle lui confiait même de l’argent pour des aumônes.

Ah ! c’est vous, monsieur, lui dit-elle ; venez-vous me demander quelque chose ? Est-ce vous qu’on a été avertir pour l’inconnu qui est là-bas ?

C’est de sa part que je viens vous trouver, madame, lui répondit-il d’un air extrêmement sérieux ; il souhaiterait que vous eussiez la bonté de le voir avant qu’il mourût, tant pour vous remercier de l’hospitalité que vous lui avez si généreusement accordée, que pour vous entretenir d’une chose qui vous intéresse.

Qui m’intéresse moi ? reprit-elle. Eh ! que peut-il avoir à me dire qui me regarde ? Vous avez, dit-il, un fils qu’il connaît, avec qui il a longtemps vécu avant que d’arriver dans ce pays-ci ; et c’est ce fils dont il a à vous parler.

De mon fils ! s’écria-t-elle encore ; ah ! monsieur, ajouta-t-elle après un grand soupir, qu’on me laisse en repos là-dessus. Dites-lui que je suis très sensible à l’état où il est ; que, si Dieu dispose de lui, il n’est point de services ni de sortes de secours que sa femme et son fils ne puissent attendre de moi. Je n’ai point encore vu la première, et si on ne l’a pas avertie de l’état où est son mari, il n’y a qu’à dire où elle est, et je lui enverrai sur-le-champ mon carrosse ; mais si le malade croit me devoir quelque reconnaissance, le seul témoignage que je lui en demande, c’est de me dispenser de savoir ce que le malheureux qui m’appelle sa mère l’a chargé de me dire ou bien, s’il est absolument nécessaire que je le sache, qu’il lui suffise que vous me l’appreniez, monsieur.

Nous ne crûmes pas devoir encore prendre la parole, et nous laissâmes répondre l’ecclésiastique.

Il peut être question d’un secret qui ne saurait être révélé qu’à vous, madame, et dont vous seriez fâchée qu’on eût