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nêtres étaient ouvertes, et on lui apportait à manger dans le même moment.

Comment dis-je à l’officier, est-ce dans ce cabinet que nous dînons ? Nous n’y serons guère à notre aise. Aussi n’est-ce pas là que nous allons, me répondit-il, c’est en haut ; mais cette dame a voulu dîner toute seule.

Il n’y a point d’apparence qu’elle eût pris ce parti-là si on l’avait priée d’être des nôtres, repris-je ; peut-être s’attendait-elle là-dessus à une politesse que personne de nous ne lui a faite, et je suis d’avis d’aller sur-le-champ réparer cette faute.

Je laissai en effet monter les autres, et me hâtai d’entrer dans ce cabinet. Elle prenait sa serviette, et n’avait pas encore touché à ce qu’on lui avait apporté ; c’était un potage, et de l’autre côté un peu de viande bouillie sur une assiette.

J’avoue qu’un repas si frugal m’étonna ; elle rougit elle-même que j’en fusse témoin ; mais lui cachant ma surprise : Eh quoi ! madame, lui dis-je, vous nous quittez ! Nous n’aurons pas l’honneur de dîner avec vous ! Nous ne souffrirons pas cette séparation-là, s’il vous plaît ; heureusement j’arrive à propos ; vous n’aviez point encore mangé, et je vous enlève de la part de toute la compagnie ; on ne se mettra point à table que vous ne soyez venue.

Elle s’était brusquement levée, comme pour m’écarter de la table, et de la vue de son dîner. Je me conformai à son intention, et ne m’avançai pas.

Non, mademoiselle, me répondit-elle en m’embrassant ; ne prenez pas garde à moi, je vous prie ; j’ai été longtemps malade, je suis encore convalescente ; il faut que j’observe un régime qui m’est nécessaire, et que j’observerais mal en compagnie. Voilà mes raisons ; voyez si vous voulez que je m’expose ; je suis bien sûre que non, et vous seriez la première à m’en empêcher. Je crus de bonne foi ce qu’elle me disait, et je n’en insistai pas moins.

Je ne me rends point, lui dis-je, je ne veux point vous laisser seule : venez, madame, et fiez-vous à moi ; je veille-