Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/546

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme elle était placée auprès de moi, nous avions de temps en temps de petites conversations ensemble.

La dame que j’ai appelée ma compagne, et qui était d’un certain âge, m’appelait presque toujours sa fille quand elle me parlait ; et là-dessus notre inconnue crut qu’elle était ma mère.

Non, lui dis-je, c’est une amie de ma famille qui a la bonté de se charger de moi jusqu’à Paris, où nous allons toutes deux, elle pour recueillir une succession, et moi pour joindre ma mère, qu’il y a longtemps que je n’ai vue.

Je voudrais bien être cette mère-là, me dit-elle d’un air doux et caressant, sans me faire de questions sur le pays d’où je venais, et sans me parler de ce qui la regardait.

Nous arrivâmes à l’endroit où nous devions dîner ; il faisait un fort beau jour, et il y avait dans l’hôtellerie un jardin qui me parut assez joli. Je fus curieuse de le voir, et j’y entrai. Je m’y promenai même quelques instants pour me délasser d’avoir été assise toute la matinée.

Madame Darcire (c’est le nom de ma compagne) était à l’entrée de ce jardin avec l’ecclésiastique dont je vous ai parlé, pendant que l’officier ordonnait notre dîner ; l’autre voyageur incommodé et sa femme étaient déjà montés dans la chambre où l’on devait nous servir, et où ils nous attendaient.

L’officier revint, et dit à madame Darcire qu’il ne nous manquait que notre nouvelle venue qui s’était retirée, et qui apparemment avait dessein de manger à part.

Je me promenais alors dans un petit bois, que cette dame eut envie de voir aussi. L’ecclésiastique et l’officier la suivirent, et il y avait déjà une bonne demi-heure que nous nous y amusions, quand le laquais de madame Darcire vint nous avertir qu’on allait servir ; nous prîmes donc le chemin de la chambre où je viens de vous dire que deux de nos voyageurs étaient d’abord montés.

J’ignorais que notre inconnue se fût séparée de nous ; on n’en avait rien dit devant moi, de sorte qu’en traversant la cour, je la vis dans un cabinet à rez-de-chaussée, dont les fe-