Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/549

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mable, me répondit-elle ensuite avec un embarras qu’elle combattait, vous me charmez, vous me pénétrez d’amitié pour vous ; mais je puis me passer de ce que vous m’offrez de si bonne grâce, souffrez que je vous remercie. Il n’y a personne de quelque considération dans ces campagnes-ci qui ne me connaisse, et chez qui je ne puisse envoyer si je voulais ; mais ce n’est pas la peine ; je serai demain chez moi.

S’il vous est indifférent de rester seule ici, lui répondis-je d’un air mortifié, il ne me l’aurait pas été d’être quelques heures de plus avec vous ; c’était une grâce que je vous demandais, et qu’à la vérité je ne mérite pas d’obtenir.

Que vous ne méritez pas ! me repartit-elle en joignant les mains ; eh ! comment ferait-on pour ne pas vous aimer ? Eh bien ! mademoiselle, que voulez-vous que je prenne ? Puisque vous me menacez de croire que je ne vous aime pas, je ferai tous ce que vous exigerez, et je vais vous suivre ; êtes-vous contente ?

C’était en tenant ma bourse qu’elle me disait cela ; je l’embrassai de joie ; car toutes ses façons me plaisaient, je les trouvais nobles et affectueuses, et ce petit moment de conversation particulière venait encore de me lier à elle. De son côté, elle me serra tendrement dans ses bras. Ne disputons plus, me dit-elle après, voilà un de vos louis que je prends ; c’est assez, puisqu’il n’est question que de prendre. Non, répondis-je en riant, n’y eût-il qu’un quart de lieue d’ici chez vous, je vous taxe à davantage. Eh bien ! mettons-en deux pour avoir la paix, et marchons, reprit-elle.

Je l’emmenai donc ; il y avait un instant qu’on avait servi, et on nous attendait. On la combla de politesses, et madame Darcire surtout eut mille attentions pour elle.

Je lui avais promis de veiller sur elle à table, et je lui tins parole, du moins pour la forme ; on m’en fit la guerre, on me querella ; je ne m’en souciai point. C’est une rigueur à laquelle je me suis engagée, dis-je. Madame n’est venue qu’à cette condition-là, et je fais ma charge.

Ma prétendue rigueur n’était cependant qu’un prétexte