Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/554

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Oh ! d’équipage, me répondit-il, vraiment, mademoiselle, elle n’en a point ; elle était toute seule, et même assez fatiguée ; car elle s’est reposée ici près d’un quart d’heure.

Toute seule et sans voiture ! m’écriai-je ; la mère de M. le marquis ? Voilà qui est bien horrible ! Ce n’est pas ma faute, et je ne saurais dire autrement, me répondit-il ; au surplus, je ne me mêle point de ces choses-là, et je réponds seulement à ce que vous me demandez.

Mais, lui dis-je en insistant, ne m’indiqueriez-vous point dans ce quartier-ci quelque personne qui la connaisse, chez qui elle aille, et de qui je puisse apprendre où elle loge ?

Non, reprit-il ; elle vient si rarement à l’hôtel, à des heures où il y a si peu de monde, et elle y demeure si peu de temps, que je ne me souviens pas de l’avoir vue parler à d’autres personnes qu’à M. le marquis son fils, et c’est toujours le matin ; encore quelquefois n’est-il pas levé.

Y avait-il rien de plus mauvais augure que tout ce que j’entendais là ? Que ferai-je donc, et quelle est ma ressource ? dis-je d’un air consterné à madame Darcire, qui commençait aussi à n’avoir pas bonne opinion de tout cela. Il n’est pas possible, en nous informant avec soin, que nous ne découvrions bientôt où elle est, me dit-elle ; il ne faut pas vous inquiéter ; ceci n’est qu’un effet du hasard et des circonstances dans lesquelles vous arrivez. Je ne lui répondis que par un soupir, et nous nous éloignâmes.

Il m’aurait été bien aisé, dans le quartier où nous étions alors, d’aller chercher cette dame avec qui nous avions voyagé, à qui j’avais prêté de l’argent, et de qui je devais savoir des nouvelles chez le marquis de Viry, rue Saint-Louis, à ce qu’elle m’avait dit ; mais dans ce moment-là je ne pensai point à elle ; je n’étais occupée que de ma mère, que de mes tristes soupçons sur son état, et que de l’impossibilité où je me voyais de l’embrasser.

Madame Darcire fit tout ce qu’elle put pour rassurer mon esprit et pour dissiper mes alarmes. Mais cette mère, qui était venue à pied chez son fils, que sa lassitude avait obligée de se reposer : cette mère qui faisait si peu de figure,