Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/555

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qui était si enterrée que les gens mêmes de son fils ne savaient pas sa demeure, me revenait toujours dans la pensée.

De la Place-Royale nous allâmes chez le procureur de madame Darcire ; de là, dans une maison où on avait mis le scellé, et qui avait appartenu à la personne dont elle était héritière ; elle y demeura près d’une heure et demie, et puis nous rentrâmes au logis avec ce procureur, à qui elle devait donner quelques papiers dont il avait besoin pour elle.

Cet homme, pendant que nous étions dans le carrosse, parla de quelqu’un qui demeurait au Marais, et qu’il devait voir le lendemain, au sujet de la succession de madame Darcire. Comme c’était là le quartier du marquis et celui où j’avais espéré de trouver ma mère, je lui demandai s’il ne la connaissait pas, sans lui dire cependant que j’étais sa fille.

Oui, me dit-il ; je l’ai vue deux ou trois fois avant la mort de son mari, qui m’avait en ce temps-là chargé de quelque affaire ; mais depuis qu’il est mort, je ne sais plus ce qu’elle est devenue ; j’ai seulement ouï dire qu’elle n’était pas fort heureuse.

Eh ! quel est donc son état ? lui répondis-je avec une émotion que j’avais bien de la peine à cacher. Son fils est si riche et si grand seigneur ! ajoutai-je. Il est vrai, reprit-il, et il a épousé la fille de M. le duc de… Mais je crois la marquise brouillée avec lui et avec sa belle-fille ; cette marquise n’était, dit-on, que la veuve d’une très mince et très pauvre gentilhomme de province, dont défunt le marquis devint amoureux dans le pays, et qu’il épousa étourdiment, tout riche et tout grand seigneur qu’il était lui-même. Aujourd’hui qu’il est mort, et que le fils qu’il a eu d’elle s’est marié avec la fille du duc de…, il se peut bien faire que cette fille du duc, je veux dire que madame la marquise la jeune ne voie pas de trop bon œil une belle-mère comme la vieille marquise, et ne se soucie pas beaucoup de se voir alliée à tous les petits hobereaux de sa famille