Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/571

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émue moi-même ; il me communiqua le trouble que j’y voyais peint, et nous nous considérâmes assez longtemps dans un silence dont la raison me remuait d’avance, sans que je la susse, lorsqu’elle le rompit d’une voix mal assurée pour me faire une question.

Mademoiselle, je crois que votre mère ne m’est pas inconnue, me dit-elle. En quel endroit, s’il vous plaît, demeure ce fils chez qui vous avez été la chercher ? À la Place-Royale, lui répondis-je alors d’un ton plus altéré que le sien. Et son nom ? reprit-elle avec empressement et respirant à peine. M. le marquis de… repartis-je toute tremblante. Ah ! ma chère Tervire s’écria-t-elle en se laissant aller entre mes bras. À cette exclamation, qui m’apprit sur-le-champ qu’elle était ma mère, je fis un cri dont fut épouvantée madame Darcire, que son procureur venait de quitter, et qui montait en cet instant l’escalier pour revenir nous joindre.

Incertaine de ce que mon cri signifiait dans une auberge de cette espèce, qui ne pouvait guère être que l’asile de gens de peu de chose, ou du moins d’une très mince fortune, elle cria à son tour pour faire venir du monde, et pour avoir du secours s’il en fallait.

En effet, au bruit qu’elle fit, l’hôte et sa fille, tous deux effrayés, montèrent avec le laquais de cette dame, et lui demandèrent de quoi il était question. Je n’en sais rien, leur dit-elle ; mais suivez-moi ; je viens d’entendre un grand cri qui est parti de la chambre de cette dame malade, chez qui j’ai laissé la jeune personne que j’y ai amenée, et je suis bien aise, à tout hasard, que vous veniez avec moi. De façon qu’ils l’accompagnèrent, et qu’ils entrèrent ensemble dans cette chambre-où j’avais perdu la force de parler, où j’étais faible, pâle et comme dans un état de stupidité ; enfin où je pleurais de joie, de surprise et de douleur.

Ma mère était évanouie, ou du moins n’avait encore donné aucun signe de connaissance depuis que je la tenais dans mes bras ; et la femme de chambre, à qui je n’aidais