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chambre que rien de tout cela n’avait rebutée, qui ne se sépara d’elle qu’à regret, et qu’elle plaça chez la marquise de Viry.

Ce fut aussi dans cette situation que la veuve d’un officier, à qui elle avait autrefois rendu un service important, offrit de l’emmener pour quelques mois à une petite terre qu’elle avait à vingt lieues de Paris, et où elle allait vivre.

Ma mère l’y suivit ; elle y eut une maladie qui, malgré les secours de cette veuve plus généreuse que riche, lui coûta presque tout l’argent qu’elle y avait apporté ; de sorte qu’après deux mois et demi de séjour dans cette terre, se voyant un peu rétablie, elle prit le parti de revenir à Paris pour voir son fils, et pour tirer de lui plus de neuf mois de pension qu’il lui devait, ou pour employer même contre lui les voies de justice, si la dureté de ce fils ingrat l’y forçait.

La terre de la veuve n’était qu’à un demi-quart de lieue de l’endroit où la voiture que nous avions prise s’arrêtait ; ma mère l’y joignit, comme vous l’avez vu, et nous nous y trouvâmes madame Darcire et moi. Voilà de quelle façon nous nous rencontrâmes ; elle n’était point en état de faire de la dépense ; elle avait dessein de vivre à part, de se séparer de nous dans le repas ; et pour éviter de nous donner le spectacle d’une femme de condition dans l’indigence, elle crut devoir changer son nom, et en prendre un qui m’empêcha de la reconnaître. Revenons à présent où nous en étions.

Huit jours après notre reconnaissance chez cet aubergiste, nous jugeâmes qu’il était temps d’aller parler à son fils, et que sans doute il serait de retour de sa campagne. Madame Darcire voulut encore m’y accompagner.

Nous nous y rendîmes donc avec une lettre de ma mère, qui lui apprenait que j’étais sa sœur. Dans la supposition qu’il dînerait chez lui, nous observâmes de n’y arriver qu’à une heure et demie, de peur de le manquer. Mais nous n’étions pas destinées à le trouver sitôt ; il n’y avait encore que