Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/591

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qui commence à s’oublier passe sur mille petites bagatelles qu’elle ne croit pas tirer à conséquence ; ces bagatelles, toutes frivoles qu’elles lui paraissent, la mènent plus loin encore : cette aisance rebute bien vite un amant délicat, et le rend toujours infidèle.

M. de Valville va tracasser de cette manière avec la Varthon pendant quelques jours, peut-être quelques mois ; après quoi il fera des réflexions ; il comparera votre mérite et votre façon d’agir avec les manières et l’esprit de cette nouvelle maîtresse. L’examen fait, adieu mademoiselle Varthon ; son cœur reviendra à Marianne plus amoureux que jamais.

J’avoue, madame, que cette bonne religieuse me ravissait en parlant de la sorte ; il me paraissait qu’elle raisonnait assez juste ; du moins ce raisonnement-là flattait mon faible cœur par l’endroit le plus sensible. Son discours séduisant me ramena tout à fait dans mon bon sens ; de sorte que je dormis cette nuit d’un profond sommeil, et que je n’eus presque plus d’inquiétude sur les visites de mademoiselle Varthon.

Le matin, dès que mon amie entra dans ma chambre, je courus l’embrasser avec des démonstrations de joie qui la ravirent : Ah ! Dieu soit béni, ma chère fille ! Vous voilà à merveille, et telle que je vous veux : allons, tout tournera bien ; n’est-il pas vrai, Marianne ?

Je l’espère, répondis-je ; je me sens extrêmement soulagée ; la tranquillité commence à s’emparer de mon âme, ce qui me fait bien augurer pour la suite.

J’en suis charmée, ma fille, me dit-elle en collant son visage sur le mien. Eh bien ! puisque vous êtes mieux (et en effet je vous trouve très fraîche ce matin), racontez-moi un peu ce que vous avez conclu avec madame de Miran touchant la proposition de l’officier.

Rien, chère amie, dis-je ; elle ne s’est point encore déterminée sur ce point, ni moi non plus. D’ailleurs nous fûmes interrompues par le laquais de M. de Valville, qui apporta la lettre à mademoiselle Varthon ; cette triste catastrophe