Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien ! qu’est-ce que cela signifie ? répond ma religieuse ; rien du tout… Quoi ! ma révérende mère, ce rendez-vous, cette intelligence ne veulent rien dire ?… Non, rien. Au contraire, reprit-elle, j’en conclus un grand avantage pour vous.

M. de Valville cherche à voir et à connaître votre rivale ; tant mieux, c’est là le seul moyen de s’en rebuter. Vous pensez bien, ma fille, qu’étant épris de ses charmes, ses charmes captiveront toujours son cœur s’il ne découvre pas ses défauts. Eh ! comment voulez-vous qu’il les connaisse, à moins qu’il ne la fréquente ? Les premières impressions subsisteront ; que dis-je ? ce n’est pas assez, elles s’augmenteront par les difficultés, s’il ne connaît que médiocrement la personne aimée. Il n’y a donc que les fréquentes conversations qui puissent diminuer sa tendresse pour elle ; car je suis presque certaine qu’il n’est qu’ébloui des grâces de la Varthon ; de sorte que ce sera un bonheur pour vous, puisque vous vous figurez que c’est un bonheur de ramener un infidèle amant. Oui, je le répète, c’est un avantage qu’il la voie et qu’il la pratique souvent. Cette fille est simple, fière et coquette tout ensemble, naturellement brouillonne. M. de Valville ne manque point de pénétration ; il connaîtra bientôt tout ce que vaut sa nouvelle conquête, et cette connaissance-là le fera rougir de vous avoir abandonnée pour un sujet qui vous est inférieur à tous égards.

Ainsi, ma fille, que ces visites furtives n’altèrent point votre repos ; vous devez bien plutôt vous en réjouir : c’est un courrier qui annonce votre triomphe ; car vous concevez aisément qu’une fille, quelques charmes qu’elles ait, perd beaucoup de ses appas quand elle est assez imprudente pour accorder des rendez-vous. Ces rendez-vous plaisent d’abord à un amant, cela est vrai : mais lorsqu’il y fait réflexion, il en voit toute la conséquence ; cette trop grande facilité dans une maîtresse lui cause toujours des soupçons ; ces soupçons-là s’augmentent de plus en plus, parce qu’ordinairement on ne se borne pas à ces minuties. Un amant qui a de l’esprit juge par ce premier rendez-vous qu’il en est aimée ; cette idée le porte à d’autres tentatives. Une fille