Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/594

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aimée. Dursan, cet amant chéri, après avoir obtenu un régiment, eut encore une succession considérable à laquelle il ne s’attendait pas ; il devait m’élever à un état brillant ; cependant mes soupçons jaloux firent son infortune et la mienne ; sa prétendue inconstance (car je le croyais infidèle) a causé mon entrée dans le cloître. Je me persuadais que cette démarche réduirait mon volage au désespoir ; trompée par ces fausses images, j’ébauchai et je consommai tout de suite mon sacrifice.

Il vous souvient, sans doute, Marianne, de la visite et du discours que je fis à ma belle-sœur. Satisfaite d’avoir un peu mortifié cette duchesse, je revenais triomphante : rien ne flatte plus notre amour-propre que d’humilier l’orgueil de ceux qui nous méprisent ; mais, hélas chère amie, que je payai cher ces mouvements de satisfaction ! À peine fus-je de retour à l’auberge où était ma mère, qu’elle expira entre mes bras, et ne put proférer que ces paroles : Venez, ma chère fille ; embrassez votre mère ; oubliez mon peu de tendresse pour vous ; ah ! que ne puis-je réparer ma faute ! J’expire, ma fille ; et elle mourut. Vous devez croire, Marianne, que mon désespoir fut aussi grand qu’il était juste. Madame Darcire, pénétrée de mon état, me fit transporter dans notre appartement, où je restai fort longtemps comme immobile ; il est même certain que j’aurais fini ma triste vie sans le secours de cette dame et de M. Dursan, qui arriva peu de temps après ce funeste accident. Dursan, plein d’une respectueuse tendresse, trouva cependant le moyen de me consoler ; il me disait sans cesse que notre prochaine union devait ramener mon courage, s’il était vrai que j’eusse pour lui quelques sentiments de compassion.

Pendant que je fixais toutes mes pensées sur cette flatteuse espérance, j’appris que mon frère et sa femme, bien loin d’avoir marqué quelque sentiment de compassion pour ma chère mère, étaient retournés tout à coup à la campagne, sans avoir laissé aucun ordre pour ses funérailles ; je n’appris même aucune de leurs nouvelles ; mais je m’en consolai. L’agréable idée que je me formais de m’unir à