Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/622

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sans connaissance. Mes yeux fermés, ma voix éteinte, mon sang glacé pour ainsi dire dans mes veines, ne laissèrent aucune espérance de guérison ; cependant une crise heureuse me rappela encore à la vie. Le premier objet qui me frappa fut M. de Valville ; oui, je remarquai d’abord que ce cher amant tenait une de mes mains qu’il arrosait de ses larmes. Ah ! ciel, m’écriai-je, quelles actions de grâces n’ai-je pas à vous rendre d’avoir conservé M. de Valville ! Mais ne serait-ce point un songe, ou plutôt l’effet des cruelles vapeurs qui me travaillent depuis si longtemps ? Hélas ! ne fût-ce que son ombre, il faut que je l’adore. Je lui serre la main ; je lui parle, il me répond, ou, pour mieux dire, nous parlions tous deux à la fois ; et cette confusion avait quelque chose de si touchant, qu’il n’est pas possible de l’exprimer. Les témoins de cette tendre scène fondaient en larmes, sans ménagement et sans précaution ; de sorte que, ne pouvant se contenir, ils poussèrent des cris perçants qui furent entendus de toute la maison, et qui attirèrent madame Dorsin, occupée à consoler madame de Miran, que la douleur de me perdre tenait alitée. Madame Dorsin, croyant que j’avais rendu le dernier soupir, venait imposer silence aux assistants, dans la crainte d’exposer les jours de ma chère mère ; sa joie ne put se modérer en me voyant recevoir les caresses de mon amant avec un sourire et une tranquillité qui ne sont propres qu’à ceux qui aiment véritablement. Une nouvelle si peu espérée lui arracha des larmes ; mais c’étaient des larmes agréables et paisibles, produites par l’amitié ; aussi madame de Miran, en la voyant rentrer dans sa chambre, soupçonna-t-elle ce qui les avait causées. Ah ! madame, lui dit-elle, je vois que Marianne est hors de danger ; Dieu soit loué ! je jouirai donc encore du doux plaisir de ma fille ! Cependant cette espèce d’alarme l’avait tellement émue, qu’elle fut quelques jours sans pouvoir sortir de son appartement.

Il me semble, madame, vous entendre dire : Eh ! bon Dieu, Marianne, finissez ces tristes récits ; cela m’ennuie, me fatigue, et jette mon esprit dans une mélancolie qui me