Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/621

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mes yeux se sont ouverts, je vois qu’il n’est point de punition que ne mérite un homme aussi coupable que moi.

Ne parlons plus du passé, lui répondis-je pénétrée de cette déclaration ; il suffit que vous me rendiez votre estime et votre bienveillance. N’allez pas vous livrer à des souvenirs qui ne feraient que troubler votre repos et retarder votre guérison : songez à votre santé et à vous rendre heureux. Toujours docile à vos volontés, je serai charmée de posséder votre amitié sans gêner vos inclinations ; je me connais trop pour vouloir régner dans votre cœur ; je vous tiens quitte de vos promesses, et me contente de votre estime.

Ah ! Marianne, je sais que je ne mérite plus votre tendresse ; je vois à présent toute la noirceur de mon procédé envers vous ; je sens que, quand j’aurais un siècle de vie, et que j’emploierais tous les moments à réparer, par mes caresses, par mes respects et par mes services, les chagrins que je vous ai causés, je serais encore bien éloigné d’en mériter le pardon.

Ah ! monsieur, m’écriai-je noyée de larmes, cessez donc de vous dire coupable, puisque vous reconnaissez votre faute ; c’est moi seule qui le suis ; oui, c’est moi qui suis la seule cause de tous vos chagrins ; si vous n’aviez point reconnu dans mon caractère et dans mes manières mille défauts rebutants, vous m’auriez toujours aimée : la connaissance de ces défauts a fait que vous m’avez ôté votre cœur ; et quoique je n’aie contribué en rien à m’attirer cette disgrâce, c’est être assez coupable que d’avoir osé vous aimer.

Que vous dirai-je, madame ? Cette tendre conversation causa un si grand dérangement dans mes sens, oui, madame, je fus saisie et agitée de tant de mouvements de tendresse et de chagrin, que je tombai dans un évanouissement si terrible, qu’on me crut morte, je dis absolument morte. On me transporta aussitôt chez madame de Miran, où je restai encore plus de vingt-quatre heures sans donner aucun signe de vie.

Ce funeste accident fut suivi d’une fièvre violente et d’un épuisement extrême ; je fus pendant plus de quinze jours