Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/624

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cette époque ; car j’ai bien retenu le nombre de ces jours-là, et c’est une chose que je n’oublierai de ma vie.

Nous voilà donc enfin, direz-vous, parvenues à la fin de votre roman ? Oui, c’est par là qu’ils finissent tous ; il est juste que le vôtre ait la même conclusion.

Pas tout à fait, madame ; j’ai encore quelque chose d’assez intéressant à vous dire, avant de terminer mes aventures. Ne les traitez pas de romanesques, s’il vous plaît ; il n’en fut jamais de plus vraies ; celles qui me restent à vous raconter ne le sont pas moins, quoique aussi extraordinaires. Ce n’est plus de Marianne, cette petite orpheline, sans père, sans mère, sans parents, inconnue à tout le monde, et qui n’appartient à personne, que je vais vous parler ; c’est de Marianne, petite-fille du duc de Kilnare, seigneur très distingué d’Écosse, issu d’une des plus illustres et des plus anciennes familles du royaume, allié à cette madame de Kilnare dont je vous ai parlé, et oncle de madame Varthon, mère de ma rivale. C’est à cette terrible rivale que j’ai obligation de la découverte de ma naissance. Voilà ce que j’ai encore à vous raconter, madame, et ce n’est pas le moins frappant de l’histoire de ma vie. Oui, soyez assurée que vous prendrez plaisir à lire ce grand dénoûment, si avantageux pour moi, et si glorieux pour mon amant, aujourd’hui mon époux.

Souvenez-vous, madame, que j’ai laissé à la Bastille M. de Valville. Je vais encore vous rappeler des idées fâcheuses en vous rappelant le triste état où nous nous trouvâmes tous.

J’ai dit que, pendant mon évanouissement, on me transporta chez madame de Miran. Valville, malgré son mal et sa faiblesse, voulut me suivre ; il était si touché, m’a-t-on raconté, de mes nobles sentiments et de la force de ma tendresse, qu’il résolut dès cet instant de m’accompagner au tombeau, ou de réparer les maux et les chagrins qu’il m’avait causés. Sa jeunesse et la bonté de son tempérament le tirèrent d’affaire en moins de six jours ; mais la douleur amère que lui causait ma maladie retardait son parfait