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rétablissement : ma convalescence fit encore chez lui un miracle ; elle opéra plus que toute la pharmacie. Enfin, madame, touchée de son repentir, entraînée par mon tendre amour, je lui donnai la main, comme je vous l’ai déjà dit, un mois après notre entrevue à la Bastille. Ici le mystère de ma naissance se dévoila ; le duc de Kilnare s’était transporté à Paris, et me reconnut pour la fille de son fils. Voici ce qui donna lieu à cet heureux événement.

Rappelez-vous, madame, cet endroit où la Varthon avait quitté le couvent pour passer en Angleterre avec M. de Valville. Cette fille, au désespoir de n’avoir point trouvé son amant au rendez-vous, le crut infidèle ; et, cette idée se fortifiant par le silence de M. de Valville, elle se détermina à prendre le voile.

Madame de Kilnare, instruite des écarts de ma rivale et de sa résolution, fit partir un exprès pour Londres. La lettre qu’elle écrivait à sa mère renfermait un détail circonstancié de mon histoire et de ses amours avec mon amant. Madame Varthon communiqua la lettre au duc de Kilnare. Ce seigneur trouva tant de connexité, comme il me le raconta ensuite, entre la catastrophe qui avait causé la mort d’un fils unique qu’il aimait tendrement et la mort de mon père, et se sentit tellement touché de mes infortunes, qu’il se détermina tout à coup à accompagner sa nièce en France.

Depuis plus de dix-huit ans, il pleurait son cher fils, et n’avait pu en avoir de nouvelles certaines. Ce qu’il savait, et qu’il avait souvent raconté à madame Varthon, c’est que ce fils s’était marié à Venise, sans son consentement et malgré sa volonté, à une demoiselle nommée Julie Morosini ; qu’il était venu à Paris avec elle, où il demeura quatre ou cinq ans ; que, peu satisfait de son mariage, il avait refusé de lui envoyer de l’argent ; qu’enfin, réduit à une fortune très médiocre, il était parti pour Bordeaux dans le carrosse de voiture, avec le dessein de trouver des amis qui lui facilitassent le moyen de passer en Angleterre, ainsi que son épouse, une petite fille de deux ans et demi, une femme de chambre et un laquais ; que le carrosse avait été atta-