Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/79

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que me tenait M. de Climal pendant que nous retournions chez madame Dutour. J’ai peur de vous aimer trop, Marianne, me disait-il ; et, si cela était, que feriez-vous ? Je ne pourrais en être que plus reconnaissante, s’il était possible, lui répondis-je. Cependant, Marianne, je me défie de votre cœur, quand il connaîtra toute la tendresse du mien, ajouta-t-il ; car vous ne la savez pas. Comment, lui dis-je, vous croyez que je ne vois pas votre amitié ? Eh ! ne changez point mes termes, reprit-il, je ne dis pas mon amitié, je parle de ma tendresse. Quoi ! dis-je, n’est-ce pas la même chose ? Non, Marianne, me répondit-il en me regardant d’une manière à m’en prouver la différence ; non, chère fille, ce n’est pas la même chose ; et je voudrais bien que l’une vous parût plus douce que l’autre. Là-dessus je ne pus m’empêcher de baisser les yeux, quoique j’y résistasse ; mais mon embarras fut plus fort que moi. Vous ne me dites mot ; est-ce que vous m’entendez, me dit-il en me serrant la main ? C’est, lui dis-je, que je suis honteuse de ne savoir que répondre à tant de bonté.

Heureusement pour moi, la conversation finit là, car nous étions arrivés ; tout ce qu’il put faire, ce fut de me redire à l’oreille : Allez, friponne, allez rendre votre cœur plus traitable et moins sourd ; je vous laisse le mien pour vous y aider.

Ce discours était assez net, et il était difficile de parler plus français : je fis semblant d’être distraite pour me dispenser d’y répondre ; mais un baiser qu’il m’appuyait sur l’oreille en me parlant, s’attirait mon attention malgré que j’en eusse, et il n’y avait pas moyen d’être sourde à cela ; aussi ne le fus-je pas. Monsieur, ne vous ai-je pas fait mal, m’écriai-je d’un air naturel, en feignant de prendre le baiser qu’il m’avait donné pour le choc de sa tête avec la mienne. Dans le temps que je disais cela, je descendais de carrosse, et je crois qu’il fut la dupe de ma petite finesse ; car il me répondit très naturellement que non.

J’emportai le ballot de hardes, que j’allai serrer dans notre chambre, pendant que M. de Climal était dans la bouti-