Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/80

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que de madame Dutour. Je redescendis sur-le-champ : Marianne, me dit-il d’un ton froid, faites travailler à votre habit dès aujourd’hui ; je vous reverrai dans trois ou quatre jours, et je veux que vous l’ayez. Et puis, parlant à madame Dutour : J’ai tâché, dit-il, de l’assortir avec de très beau linge qu’elle m’a montré, et que lui a laissé la demoiselle qui est morte.

Et là-dessus vous remarquerez, ma chère amie, que M. de Climal m’avait avertie qu’il parlerait comme cela à madame Dutour ; et je pense vous en avoir dit la raison, qu’il ne me dit pourtant pas, mais que je devinai : d’ailleurs, ajouta-t-il, je suis bien aise que mademoiselle soit proprement mise, parce que j’ai des vues pour elle qui pourront réussir. Et tout cela du ton d’un homme vrai et respectable ; car M. de Climal tête à tête avec moi ne ressemblait point du tout au M. de Climal parlant aux autres : à la lettre, c’étaient deux hommes différents ; et, quand je lui voyais son visage dévot, je ne pouvais pas comprendre comment ce visage-là ferait pour devenir profane et tel qu’il était avec moi. Mon Dieu, que les hommes ont de talents pour ne rien valoir !

Il se retira après un demi-quart d’heure de conversation avec madame Dutour. Il ne fut pas plutôt parti que celle-ci, à qui il avait conté mon histoire, se mit à louer sa pitié et la bonté de son cœur. Marianne, me dit-elle, vous avez fait là une bonne rencontre quand vous l’avez connue ; voyez ce que c’est ! il a autant de soin de vous que si vous étiez son enfant ; cet homme-là n’a peut-être pas son pareil dans le monde pour être bon et charitable.

Le mot de charité ne fut pas fort de mon goût : il était un peu cru pour un amour-propre aussi douillet que le mien ; mais madame Dutour n’en savait pas davantage : ses expressions allaient comme son esprit, qui allait comme il plaisait à son peu de malice et de finesse. Je fis pourtant la grimace ; mais je ne dis rien, car nous n’avions pour témoin que la grave mademoiselle Toinon, bien plus capable de m’envier les hardes qu’on me donnait, que de me croire humiliée de les recevoir. Oh ! pour cela, mademoiselle Ma-