Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ces lâches maximes la déshonorerait toujours. Dans le fond, ce n’est plus avoir de l’honneur que de laisser espérer aux gens qu’on en manquera. L’art d’entretenir un homme dans cette espérance-là, je l’estime encore plus honteux qu’une chute totale dans le vice car, dans les marchés, même infâmes, le plus infâme de tous est celui où l’on est fourbe et de mauvaise foi par avarice : n’êtes-vous pas de mon sentiment ?

Pour moi, j’avais le caractère trop vrai pour me conduire de cette manière-là : je ne voulais ni faire le mal, ni sembler le promettre : je haïssais la fourberie de quelque espèce qu’elle fût, surtout celle-ci, dont le motif était d’une bassesse qui me faisait horreur.

Ainsi je secouai la tête à tous les discours de madame Dutour qui voulait me convertir là-dessus pour son avantage et pour le mien. De son côté, elle aurait été bien aise que ma pension eût duré longtemps, et que nous eussions fait quelques petits cadeaux ensemble de l’argent de M. de Climal : c’était ainsi qu’elle s’en expliquait en riant ; car la bonne femme était gourmande et intéressée ; et moi, je n’étais ni l’un ni l’autre.

Quand nous eûmes dîné, mon habit et mon linge furent donnés aux ouvrières, et la Dutour leur recommanda beaucoup de diligence. Elle espérait sans doute qu’en me voyant brave (c’était son terme), je serais tentée de laisser durer plus longtemps mon aventure avec M. de Climal, et il est vrai que, du côté de la vanité, je menaçais déjà d’être furieusement femme ! Un ruban de mon goût, ou un habit galant, quand j’en rencontrais, m’arrêtait tout court, je n’étais plus de sang-froid ; je m’en ressentais pour une heure, et je ne manquais pas de m’ajuster de tout cela en idée (comme je vous l’ai déjà dit de mon habit) ; enfin là-dessus je faisais toujours des châteaux en Espagne, en attendant mieux.

Mais malgré cela, depuis que j’étais sûre que M. de Climal m’aimait, j’avais absolument résolu, s’il m’en parlait, de lui dire qu’il était inutile qu’il m’aimât. Après quoi, je