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mable, vous ne faites que plaire ; ajoutez-y seulement une main de plus, comme je viens de le dire, on ne vous résiste plus ; vous êtes charmante.

Combien ai-je vu de cœurs hésitant de se rendre à de beaux yeux, et qui seraient restés à moitié chemin sans le secours dont je parle !

Qu’une femme soit un peu laide, il n’y a pas grand malheur, si elle a la main belle : il y a une infinité d’hommes plus touchés de cette beauté-là que d’un visage aimable : et la raison de cela, vous la dirai-je ? je crois l’avoir sentie.

C’est que ce n’est point une nudité qu’un visage, quelque aimable qu’il soit ; nos yeux ne l’entendent pas ainsi : mais une belle main commence à en devenir une : et, pour fixer de certaines gens, il est bien aussi sûr de les tenter que de leur plaire. Le goût de ces gens-là, comme vous le voyez, n’est pas le plus honnête ; c’est pourtant, en général, le goût le mieux servi de la part des femmes, celui à qui leur coquetterie fait le plus d’avances.

Mais m’écarterai-je toujours ? Je crois qu’oui ; je ne saurais m’en empêcher : les idées me gagnent, je suis femme, et je conte mon histoire ; pesez ce que je vous dis là, et vous verrez qu’en vérité je n’use presque pas des privilèges que cela me donne.

Où en étais-je ? À ma coiffe que je raccommodais quelquefois dans l’intention que j’ai dite.

Parmi les jeunes gens dont j’attirais les regards, il y en eut un que je distinguai moi-même, et sur qui mes yeux tombaient plus volontiers que sur les autres.

J’aimais à le voir, sans me douter du plaisir que j’y trouvais ; j’étais coquette pour les autres, et je ne l’étais pas pour lui ; j’oubliais à lui plaire et ne songeais qu’à le regarder.

Apparemment que l’amour, la première fois qu’on en prend, commence avec cette bonne foi-là, et peut-être que la douceur d’aimer interrompt le soin d’être aimable. Ce jeune homme, à son tour, m’examinait d’une façon