Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/83

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votre petit enfant ! » Il riait, du rire silencieux des voyants qui possèdent la vérité éternelle et pour qui le reste du monde est composé d’insanes. Sans déplacer son regard, rivé aux pupilles de Jenny, il baissa la voix ;

— « Femme, femme, le Mal n’existe pas ! C’est vous qui le créez, c’est vous qui lui donnez la puissance mauvaise, parce que vous le craignez, parce que vous acceptez qu’il soit ! Voyez : aucun d’eux ici n’espère plus. Ils disent tous : “ Elle est… ” Vous-même, vous pensez, et tout à l’heure vous avez presque prononcé : “ Elle est… ” ! Éternel ! Mets un vigilant sur ma bouche, mets un vigilant sur la porte de mes lèvres ! Oh, la pauvre petite chose, quand je suis apparu, elle n’avait plus autour d’elle que le vide, que le Négatif !

« Et moi je dis : Elle n’est pas malade ! » s’écria-t-il avec une conviction si contagieuse, que les trois femmes en furent électrisées. « Elle est en santé ! Mais qu’on me laisse ! »

Avec des précautions de prestidigitateur, il avait progressivement desserré les doigts et fait un petit saut en arrière, laissant libres les membres de l’enfant, qui s’étendirent, dociles, sur le lit.