Page:Marx et Engels - Le manifeste communiste, II.djvu/162

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que la croyance consolatrice de leur servage, celle en l’affranchissement dans l’autre monde. Cette doctrine, qui asseyait fortement le pouvoir féodal et désarmait toute résistance comme condamnée par la constitution éternelle du monde, fut imposée par la guerre et par le bûcher. Elle ne toléra pas d’hérésie.

Pourtant l’hérésie vint, exigeant d’abord la liberté de conscience, la tolérance, puis allant au xviie siècle jusqu’à concevoir l’univers comme un mécanisme automatique, construit par un horloger transmondain indifférent à la destinée du monde une fois en marche. Que signifie cette hérésie ? Que la bourgeoisie revendiquait déjà le laissez-faire, l’absolue concurrence, comme loi de l’État, et sentait déjà poindre en elle la forée par laquelle elle évincerait le monarque jusqu’à en faire le spectateur immobile d’une concurrence où il n’aurait plus à intervenir. Mais la bourgeoisie, une fois triomphante, ne trouve pas mauvais, sans doute, qu’il y ait une religion pour le peuple, capable d’entretenir son humilité et à la fois de justifier la domination capitaliste. Elle redevient croyante alors. Elle s’écrie, avec Bowring, en Angleterre : « Jésus-Christ, c’est le free-trade ! » En France, le capitalisme voltairien s’allie avec les jeunes catholiques pour arracher au peuple l’instruction primaire laïque[1].

Il est sûr ainsi que de certaines formes de sentimentalité religieuse et morale, de certaines

  1. Marx, Discours sur le Libre-échange, p. 272. — Klassenkaempfe in Frankreich, p. 91. — Der XVIIIte Brumaire, p. 47.