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Page:Massé - Mena’sen, 1922.djvu/108

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— Encore un effort, ma chérie, disait-il à la jeune fille, en la soutenant. Ce n’est pas au moment de toucher au but qu’il faut se laisser abattre. Ah ! je sais que tu souffres, que le voyage est pénible, que je ne puis rien pour soulager ta souffrance sinon t’aimer de toute mon âme… Nous touchons peut-être au terme. J’entends, dans le voisinage, le bruit de chutes. Nous y ferons halte et nous reposerons. Je laverai dans l’eau fraîche tes pieds meurtris. Je te ferai une couche moelleuse de mousse et de fougère où tu te prélasseras comme une reine…

Il affectait un enjouement câlin qu’il était loin d’éprouver. Mais sa contrainte mal déguisée, ce ton badin qui sonnait faux dans sa gorge étranglée par l’émotion ne pouvaient donner le change à la jeune fille. Elle le regardait tristement en manifestant d’un sourire un peu sceptique qu’elle n’était pas dupe de sa bienveillante feintise.

— Ah ! Robert, comme j’ai raison de t’aimer… Mais à quoi bon chercher à s’illusionner. Un sombre pressentiment s’est emparé de moi. Pour ne pas te chagriner, j’ai tenté de le chasser, mais il persiste à m’obséder : je ne reverrai pas Deerfield…

— Alice, que dis-tu ?… Tu as la fièvre, tu divagues… Je t’en supplie, au nom de notre amour, ne parle pas ainsi, tu me rendrais fou. Tu es exténuée, je le comprends, tu as besoin de repos. Aussi, nous allons faire halte ici, une journée ou deux. Pendant ce temps, je parviendrai bien à construire un radeau, ce qui nous permettra d’utiliser encore la rivière. Courage, donc, ma bien-aimée, notre pèlerinage touche à sa fin, car, d’un jour à l’autre, nous rencontrerons quelque parti de sauvages amis qui sauront nous restaurer et nous conduire à Deerfield…