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XIV


Le canot d’écorce qui portait Robert et Alice filait à bonne allure. Robert maniait habilement l’aviron qu’il s’était, en catimini, taillé dans une planche de pin dérobée à la cloison de sa case, dans l’Isle-au-Feu.

Ses bras où saillaient les muscles enfonçaient, d’un rythme régulier, la pale de l’aviron dans l’onde bouillonnante. Son geste harmonieux de moissonneur infatigable soulevait d’épais andains. À chaque coup d’aviron, l’embarcation avançait et, si peu que ce fut, rapprochait de la liberté les deux fugitifs.

Robert, à l’arrière du canot, avait physionomie du rôle dramatique qu’il s’était assigné ; le sentiment de la responsabilité qu’il avait assumée devait lui apparaître net et défini. C’étaient leurs deux vies qui se jouaient, la vie de deux êtres que l’amour confond inséparablement. Devant lui et comme blottie sous sa tutelle, Alice reposait au fond du canot, confiante et forte. Tous deux, depuis leur départ de l’isle, avaient à peine prononcé une parole : c’était, du reste, la consigne dont ils étaient convenus. Il fallait, avant que leur fuite fut découverte, mettre le plus possible de distance entre eux et ceux qui ne manqueraient pas de leur donner la chasse. Aussi, Robert concentrait toute son énergie à accomplir cette tâche, car il ne se dissimulait pas que l’entreprise qu’il tentait était hasardeuse, quasi désespérée. Sans relâche, l’aviron plongeait dans l’eau calme comme la nuit qui les entourait. L’oreille aux aguets et l’œil perçant les ténèbres, Robert, attentif et prudent, veillait tandis qu’Alice priait. Comme jadis la