Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MES SOUVENIRS
199

jour-là, dans la salle à manger, avant qu’aucun des convives n’y eût pénétré, et je posai sous la serviette de Sonzogno une bombe Orsini, d’une vérité d’apparence étonnante, que j’avais achetée — qu’on se rassure, elle était en carton — chez un confiseur. À côté de ce bien inoffensif explosif, j’avais placé la carte de Ricordi. Cette plaisanterie obtint un succès peu ordinaire. Les dîneurs en rirent tant et tant, que, pendant tout le repas, il ne fut pas question d’autre chose, si bien même que l’on ne songea que médiocrement au menu, et cependant l’on sait s’il devait être succulent, comme tous ceux, d’ailleurs, auxquels on était appelé à faire honneur dans cette opulente maison !

En Italie, toujours, j’eus la fortune glorieuse d’avoir pour interprète de Sapho la Bellincioni, la « Duse » de la tragédie lyrique. En 1911, elle poursuivait, à l’Opéra de Paris, le cours de sa triomphale carrière.

J’ai parlé de la Cavalieri comme devant créer Thaïs à Milan. Sonzogno m’engagea vivement à lui faire voir le rôle avant mon départ. J’ai à me souvenir du succès considérable qu’elle obtint dans cet ouvrage, al teatro lirico de Milan. Sa beauté, sa plastique admirable, sa voix chaude et colorée, ses élans passionnés, empoignèrent le public qui la porta aux nues.

Elle m’invita à un déjeuner d’adieux qui eut lieu à l’« hôtel de Milan ». Le couvert fleuri était dressé dans un grand salon attenant à la chambre à coucher où Verdi était décédé deux ans auparavant. Cette chambre était demeurée telle que l’avait habitée l’illustre compositeur. Le piano à queue du grand