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MES DISCOURS
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s’habitue à suivre n’ira jamais devant », assurait Michel-Ange. Frémiet voulut aller devant. Et la gloire commence.

Si on le voulait pousser un peu, il ne faisait nulle difficulté d’accorder aux bêtes, comme le poète Lucrèce, une suprématie évidente sur les hommes, et il en donnait nombre de raisons ingénieuses. Il est donc naturel que ses prédilections l’aient porté surtout du côté des animaux. « Sculpteur animalier » était le titre qu’il revendiquait.

Ne trouvez-vous pas prodigieux cet art superbe du sculpteur ? Le peintre a sa palette aux couleurs multiples, où d’un pinceau léger il peut trouver tous les tons que lui suggère une riche imagination ; le musicien a les sept notes de la gamme, dont il peut varier à l’infini les combinaisons, selon les lois de l’harmonie, s’il en est encore, et celles de la polyphonie la plus truculente; l’architecte trace des plans, que d’un crayon agile et d’une gomme élastique, complaisante il peut modifier à sa guise.

Mais le sculpteur ?

On met devant lui un bloc de pierre, et de cette pierre inerte on lui demande de tirer de la vie : « Va, mon bonhomme, voici un ciseau, rogne et taille tout à ton aise. De cet obscur caillou, fais de la lumière ; de ce quartier de roc, de la tendresse ; de ce poids lourd, de la légèreté. De la glaise humide et grise, que les fleurs éclosent et que les dentelles se déroulent ! Va, échauffe ce marbre glacé. Crée et multiplie. »

Et voici le Cavalier romain qui se dresse hautain sur son cheval de guerre, comme un maître du monde,