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Page:Maupassant - Œuvres posthumes, I, OC, Conard, 1910.djvu/156

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ŒUVRES POSTHUMES.

C’est à minuit que je pris la garde, avec un de nos camarades. Les deux amis que nous remplacions sortirent, et nous vînmes nous asseoir au pied du lit.

La figure n’était point changée. Elle riait. Ce pli que nous connaissions si bien se creusait au coin des lèvres, et il nous semblait qu’il allait ouvrir les yeux, remuer, parler. Sa pensée ou plutôt ses pensées nous enveloppaient ; nous nous sentions plus que jamais dans l’atmosphère de son génie, envahis, possédés par lui. Sa domination nous semblait même plus souveraine maintenant qu’il était mort. Un mystère se mêlait à la puissance de cet incomparable esprit.

Le corps de ces hommes-là disparaît, mais ils restent, eux ; et, dans la nuit qui suit l’arrêt de leur cœur, je vous assure, monsieur, qu’ils sont effrayants.

Et, tout bas, nous parlions de lui, nous rappelant des paroles, des formules, ces surprenantes maximes qui semblent des lumières jetées, par quelques mots, dans les ténèbres de la Vie inconnue.

— Il me semble qu’il va parler, dit mon camarade.

Et nous regardions, avec une inquiétude touchant à la peur, le visage immobile et riant toujours.

Peu à peu nous nous sentions mal à l’aise, oppressés, défaillants. Je balbutiai :

— Je ne sais pas ce que j’ai, mais je t’assure que je suis malade.

Et nous nous aperçûmes alors que le cadavre sentait mauvais.

Alors mon compagnon me proposa de passer dans la chambre voisine, en laissant la porte ouverte ; et j’acceptai.

Je pris une des bougies qui brûlaient sur la table de nuit et je laissai la seconde, et nous allâmes nous asseoir à l’autre bout de l’autre pièce, de façon à voir de notre place le lit et le mort, en pleine lumière.