Page:Maupassant - Œuvres posthumes, I, OC, Conard, 1910.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
257
LA QUESTION DU LATIN.

bras un large panier qui lui faisait plier la taille, sortit pour aller rendre aux clients leurs chemises, leurs mouchoirs et leurs draps. Elle s’arrêta sur la porte comme si elle eût été fatiguée déjà ; puis elle leva les yeux, sourit en nous voyant fumer, nous jeta, de sa main restée libre, un baiser narquois d’ouvrière insouciante ; et elle s’en alla d’un pas lent, en traînant ses chaussures.

C’était une fille de vingt ans, petite, un peu maigre, pâle, assez jolie, l’air gamin, les yeux rieurs sous des cheveux blonds mal peignés.

Le père Piquedent, ému, murmura :

— Quel métier, pour une femme ! Un vrai métier de cheval.

Et il s’attendrit sur la misère du peuple. Il avait un cœur exalté de démocrate sentimental et il parlait des fatigues ouvrières avec des phrases de Jean-Jacques Rousseau et des larmoiements dans la gorge.

Le lendemain, comme nous étions accoudés à la même fenêtre, la même ouvrière nous aperçut et nous cria : « Bonjour les écoliers ! » d’une petite voix drôle, en nous faisant la nique avec ses mains.

Je lui jetai une cigarette, qu’elle se mit aussitôt à fumer. Et les quatre autres repasseuses se précipitèrent sur la porte, les mains tendues, afin d’en avoir aussi.

Et, chaque jour, un commerce d’amitié s’établit entre les travailleuses du trottoir et les fainéants de la pension.

Le père Piquedent était vraiment comique à voir. Il tremblait d’être aperçu, car il aurait pu perdre sa place, et il faisait des gestes timides et farces, toute une mimique d’amoureux sur la scène, à laquelle les femmes répondaient par une mitraille de baisers.

Une idée perfide me germait dans la tête. Un jour,