en entrant dans notre chambre, je dis, tout bas, au vieux pion :
— Vous ne croiriez pas, monsieur Piquedent, j’ai rencontré la petite blanchisseuse ! Vous savez bien, celle au panier, et je lui ai parlé !
Il demanda un peu troublé par le ton que j’avais pris :
— Que vous a-t-elle dit ?
— Elle m’a dit… mon Dieu… elle m’a dit… qu’elle vous trouvait très bien… Au fond, je crois… je crois… qu’elle est un peu amoureuse de vous…
Je le vis pâlir ; il reprit :
— Elle se moque de moi, sans doute. Ces choses-là n’arrivent pas à mon âge.
Je dis gravement :
— Pourquoi donc ? Vous êtes très bien !
Comme je le sentais touché par ma ruse, je n’insistai pas.
Mais chaque jour, je prétendis avoir rencontré la petite et lui avoir parlé de lui ; si bien qu’il finit par me croire et par envoyer à l’ouvrière des baisers ardents et convaincus.
Or, il arriva qu’un matin, en me rendant à la pension, je la rencontrai vraiment. Je l’abordai sans hésiter comme si je la connaissais depuis dix ans.
— Bonjour, mademoiselle. Vous allez bien ?
— Fort bien, monsieur, je vous remercie !
— Voulez-vous une cigarette ?
— Oh ! pas dans la rue.
— Vous la fumerez chez vous.
— Alors, je veux bien.
— Dites donc, mademoiselle, vous ne savez pas ?
— Quoi donc, monsieur ?
— Le vieux, mon vieux professeur…
— Le père Piquedent ?