Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/119

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Ce fut un lundi matin qu’il murmura :

— Tiens — tiens — tiens.

Il faisait un temps superbe, un de ces temps jaunes et bleus du mois de juillet où on dirait qu’il pleut de la chaleur. La vaste plage couverte de monde, de toilettes, de couleurs, avait l’air d’un jardin de femmes ; et les barques de pêche aux voiles brunes, presque immobiles sur l’eau bleue, qui les reflétait la tête en bas, semblaient dormir sous le grand soleil de dix heures. Elles restaient là, en face de la jetée de bois, les unes tout près, d’autres plus loin, d’autres très loin, sans remuer, comme accablées par une paresse de jour d’été, trop nonchalantes pour gagner la haute mer ou même pour rentrer au port. Et, là-bas, on apercevait vaguement, dans la brume, la côte du Havre portant à son sommet deux points blancs, les phares de Sainte-Adresse.

Il s’était dit :

— Tiens, tiens, tiens ! en la rencontrant pour la troisième fois et en sentant sur lui son regard, son regard de femme mûre, expérimentée et hardie, qui s’offre.

Déjà il l’avait remarquée les jours précédents, car elle semblait aussi en quête de quelqu’un. C’était une Anglaise assez grande, un peu maigre, l’Anglaise audacieuse dont les voyages et les circonstances ont fait une espèce d’homme. Pas mal d’ailleurs, marchant sec, d’un pas court, vêtue simplement, sobrement, mais coiffée d’une façon drôle, comme elles se coiffent toutes. Elle avait les yeux assez beaux, les pommettes saillantes, un peu rouges, les dents trop longues, toujours au vent.

Quand il arriva près du port, il revint sur ses pas