Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/144

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Et elle s’assit en face de lui.

Alors il devint jovial ; il trinquait, tapait sur la table, racontait des histoires qu’elle écoutait les yeux baissés, sans oser prononcer un mot.

De temps en temps elle se levait pour aller chercher du pain, du cidre, des assiettes.

En apportant le café, elle ne déposa qu’une tasse devant lui, alors, repris de colère, il grogna :

— Eh bien, et pour té ?

— J’n’en prends point, not’ maître.

— Pourquoi que tu n’en prends point ?

— Parce que je l’aime point.

Alors il éclata de nouveau :

— J’aime pas prend’ mon café tout seul, nom de D… Si tu n’veux pas t’mett’ à en prendre itou, tu vas foutre le camp, nom de D… Va chercher une tasse et plus vite que ça.

Elle alla chercher une tasse, se rassit, goûta la noire liqueur, fit la grimace, mais, sous l’œil furieux du maître, avala jusqu’au bout. Puis il fallut boire le premier verre d’eau-de-vie de la rincette, le second du pousse-rincette, et le troisième du coup-de-pied-au-cul.

Et M. Omont la congédia.

— Va laver ta vaisselle maintenant, t’es une bonne fille.

Il en fut de même au dîner. Puis elle dut faire sa partie de dominos, puis il l’envoya se mettre au lit.

— Va te coucher, je monterai tout à l’heure.

Et elle gagna sa chambre, une mansarde sous le toit. Elle fit sa prière, se dévêtit et se glissa dans ses draps.