Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/154

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Je l’avouai, oui, j’avais été amoureux.

« Racontez-moi ça, » dit-elle.

Je lui racontai une histoire quelconque. Elle m’écoutait attentivement, avec des marques fréquentes d’improbation et de mépris ; et soudain : « Non, vous n’y entendez rien. Pour que l’amour fût bon, il faudrait, il me semble, qu’il bouleversât le cœur, tordît les nerfs et ravageât la tête ; il faudrait qu’il fût — comment dirai-je ? — dangereux, terrible même, presque criminel, presque sacrilège, qu’il fût une sorte de trahison ; je veux dire qu’il a besoin de rompre des obstacles sacrés, des lois, des liens fraternels ; quand l’amour est tranquille, facile, sans périls, légal, est-ce bien de l’amour ? »

Je ne savais plus quoi répondre, et je jetais en moi-même cette exclamation philosophique : Ô cervelle féminine, te voilà bien !

Elle avait pris, en parlant, un petit air indifférent, sainte-nitouche ; et, appuyée sur les coussins, elle s’était allongée, couchée, la tête contre mon épaule, la robe un peu relevée, laissant voir un bas de soie rouge que les éclats du foyer enflammaient par instants.

Au bout d’une minute : « Je vous fais peur », dit-elle. Je protestai. Elle s’appuya tout à fait contre ma poitrine et, sans me regarder : « Si je vous disais, moi, que je vous aime, que feriez-vous ? » Et avant que j’eusse pu trouver ma réponse, ses bras avaient pris mon cou, avaient attiré brusquement ma tête, et ses lèvres joignaient les miennes.

Ah ! ma chère amie, je vous réponds que je ne m’amusais pas ! Quoi ! tromper Julien ? devenir l’amant de cette petite folle perverse et rusée, effroyablement sensuelle