Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/155

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sans doute, à qui son mari déjà ne suffisait plus ! Trahir sans cesse, tromper toujours, jouer l’amour pour le seul attrait du fruit défendu, du danger bravé, de l’amitié trahie ! Non, cela ne m’allait guère. Mais que faire ? Imiter Joseph ! rôle fort sot et, de plus, fort difficile, car elle était affolante en sa perfidie, cette fille, et enflammée d’audace, et palpitante et acharnée. Oh ! que celui qui n’a jamais senti sur sa bouche le baiser profond d’une femme prête à se donner, me jette la première pierre…

… Enfin, une minute de plus… vous comprenez, n’est-ce pas ? Une minute de plus et… j’étais… non, elle était… pardon, c’est lui qui l’était !… ou plutôt qui l’aurait été, quand voilà qu’un bruit terrible nous fit bondir.

La bûche, oui, la bûche, madame, s’élançait dans le salon, renversant la pelle, le garde-feu, roulant comme un ouragan de flamme, incendiant le tapis et se gîtant sous un fauteuil qu’elle allait infailliblement flamber.

Je me précipitai comme un fou, et pendant que je repoussais dans la cheminée le tison sauveur, la porte brusquement s’ouvrit ! Julien, tout joyeux, rentrait. Il s’écria : « Je suis libre, l’affaire est finie deux heures plus tôt ! »

Oui, mon amie, sans la bûche, j’étais pincé en flagrant délit. Et vous apercevez d’ici les conséquences !

Or, je fis en sorte de n’être plus repris dans une situation pareille, jamais, jamais. Puis je m’aperçus que Julien me battait froid, comme on dit. Sa femme évidemment sapait notre amitié ; et peu à peu il m’éloigna de chez lui ; et nous avons cessé de nous voir. Je ne me suis point marié. Cela ne doit plus vous étonner.