Page:Maupassant - L'art de gouverner, paru dans Le Gaulois, 1 novembre 1881.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

M. Gambetta, homme sans doute supérieur à Louis-Philippe, mais privé de cette éducation gouvernementale sucée avec le lait, arrive, conquérant audacieux, et il parle, espérant, selon l’admirable expression de Michelet, gagner les foules « de par la seule vertu d’une gueule retentissante ». Il parle avec de grands mots, jetant des sentiments généreux, des généralités entraînantes : « Patrie, République, industrie, progrès, démocratie, etc. » Une assemblée de voyageurs de commerce l’eût porté en triomphe. Les Normands attendaient des chiffres, des choses précises, des termes techniques. Ils ont gardé une froideur glaciale. À Quillebœuf, l’aventure est devenue réjouissante. Entraîné par son improvisation, l’illustre avocat, célébrant la Seine canalisée, proclame que, grâce à ce progrès, les pilotes cesseront d’être nécessaires. Or, à Quillebœuf, tout le monde est pilote : c’est la patrie du pilotage. Autant dire aux administrateurs de la Compagnie du gaz que, grâce à la lumière électrique, le gaz sera bientôt inutile. Immédiatement, une députation s’avance. En tête marche un gaillard à poitrine épaisse, qui se dandine sur ses jambes. Il arrête sans façon l’orateur en lui annonçant qu’il est pilote, maître pilote ! Il montre ensuite l’armée