Page:Maupassant - L'art de gouverner, paru dans Le Gaulois, 1 novembre 1881.djvu/9

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fonctionnaires qui venaient d’exprimer leurs vœux à cette larve impériale : « Monseigneur, je n’ai qu’une chose à vous souhaiter : puissiez-vous être plus tard aussi sourd aux compliments intéressés de vos flatteurs que vous l’êtes aujourd’hui à l’hommage de mon profond respect. »


L’empereur, présent, ne dit rien, mais n’oublia pas. Quelque temps après, se trouvant à Rouen, il se mit soudain à cribler son fonctionnaire de ces questions directes, terribles, dont il avait le secret et auxquelles il fallait répondre. « Combien de gens mariés dans votre département ? » Le préfet, impassible, jeta un chiffre. « Quelle est la longueur totale de vos routes ? » Le préfet n’hésita point. « Combien passe-t-il d’eau par jour sous le pont de Rouen, monsieur le préfet ? » L’autre indiqua la quantité d’eau. Alors, de cette voix ironique qui valait presque un arrêt de mort, l’empereur demanda. « Puisque vous savez tout, monsieur, combien avez-vous d’oiseaux de passage ici ? »

Le fonctionnaire salua de tout son corps : « Un seul, Sire, un aigle ! »

Napoléon ne continua pas.

C’étaient là, je ne le nie point, jeux de prince et de courtisan. Mais Napoléon, certes, n’aurait point oublié qu’il y a des pilotes à Quillebœuf !

guy de maupassant.