Page:Maupassant - La Vie errante.djvu/202

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irréelle, qui devait se battre quelque part, on ne savait où, dans le ciel ou sur la terre. Tendant l’oreille vers tous les points de l’horizon, nous finîmes par découvrir que cette clameur venait du sud. Alors quelqu’un s’écria :

— Mais ce sont les oiseaux du lac Triton

Nous devions, en effet, le lendemain, passer à côté de ce lac, appelé par les Arabes El-Kelbia (la chienne), d’une superficie de 10 000 à 13 000 hectares, dont certains géographes modernes font l’ancienne mer intérieure d’Afrique, qu’on avait placée jusqu’ici dans les chotts Fedjedj, R’arsa et Melr’ir.

C’était bien, en effet, le peuple piaillard des oiseaux d’eau, campé, comme une armée de tribus diverses, sur les bords du lac, éloigné cependant de seize kilomètres, qui faisait dans la nuit ce grand vacarme confus, car ils sont là des milliers, de toute race, de toute forme, de toute plume, depuis le canard au nez plat, jusqu’à la cigogne au long bec. Il y a des armées de flamants et de grues, des flottes de macreuses et de goélands, des régiments de grèbes, de pluviers, de bécassines, de mouettes. Et sous les doux clairs de lune, toutes ces bêtes, égayées par la belle nuit, loin de l’homme, qui n’a point