Page:Maupassant - La Vie errante.djvu/237

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Et voilà qu’en une rue étroite je m’arrête devant une belle maison orientale dont la porte ouverte montre un grand escalier droit, tout décoré de faïences et éclairé, de haut en bas, par une lumière invisible, une cendre, une poussière de clarté tombée on ne sait d’où. Sous cette lueur inexprimable, chaque marche émaillée attend quelqu’un, peut-être un vieux musulman ventru, mais je crois qu’elle appelle un pied d’amoureux. Jamais je n’ai mieux deviné, vu, compris, senti l’attente que devant cette porte ouverte et cet escalier vide où veille une lampe inaperçue. Au-dehors, sur le mur éclairé par la lune, est suspendu un de ces grands balcons fermés qu’ils appellent une barmakli. Deux ouvertures sombres au milieu, derrière les riches ferrures contournées des moucharabis. Est-elle là-dedans qui veille, qui écoute et nous déteste, la Juliette arabe dont le cœur frémit ? Oui, peut-être ? Mais son désir tout sensuel n’est point de ceux qui, dans nos pays à nous, monteraient aux étoiles par des nuits pareilles. Sur cette terre amollissante et tiède, si captivante que la légende des Lotophages y est née dans l’île de Djerba, l’air est plus savoureux que partout, le soleil plus chaud, le jour plus clair, mais le cœur ne sait