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LE HORLA

cherchant à deviner. Mes mains tremblaient ! On avait donc bu cette eau ? Qui ? Moi ? moi, sans doute ? Ce ne pouvait être que moi ! Alors, j’étais somnambule, je vivais, sans le savoir, de cette double vie mystérieuse qui fait douter s’il y a deux êtres en nous, ou si un être étranger, inconnaissable et invisible, anime, par moments, quand notre âme est engourdie, notre corps captif qui obéit à cet autre, comme à nous-mêmes, plus qu’à nous-mêmes.

Ah ! qui comprendra mon angoisse abominable ! Qui comprendra l’émotion d’un homme, sain d’esprit, bien éveillé, plein de raison et qui regarde épouvanté, à travers le verre d’une carafe, un peu d’eau disparue pendant qu’il a dormi ! Et je restai là jusqu’au jour, sans oser regagner mon lit.

juillet. — Je deviens fou. On a encore bu toute ma carafe cette nuit : ou plutôt, je l’ai bue ! Mais, est-ce moi ? Est-ce moi ? Qui serait-ce ? Qui ? Oh ! mon Dieu ! Je deviens fou ! Qui me sauvera ?

10 juillet. — Je viens de faire des épreuves surprenantes.

Décidément, je suis fou ! Et pourtant !

Le 6 juillet, avant de me coucher, j’ai placé sur ma table du vin, du lait, de l’eau, du pain et des fraises.

On a bu, j’ai bu toute l’eau, et un peu de lait. On n’a touché ni au vin, ni aux fraises.