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le vagabond

dans le pays, ou bien vous aurez de mes nouvelles.

Et Randel se mit en route sans rien répondre, et sans savoir où il allait. Il marcha devant lui un quart d’heure ou vingt minutes, tellement abruti qu’il ne pensait plus à rien.

Mais soudain, en passant devant une petite maison dont la fenêtre était entr’ouverte, une odeur de pot-au-feu lui entra dans la poitrine et l’arrêta net devant ce logis.

Et, tout à coup, la faim, une faim féroce, dévorante, affolante, le souleva, faillit le jeter comme une brute contre les murs de cette demeure.

Il dit, tout haut, d’une voix grondante : « Nom de Dieu ! faut qu’on m’en donne, cette fois. » Et il se mit à heurter la porte à grands coups de son bâton. Personne ne répondit ; il frappa plus fort, criant : « Hé ! hé ! hé ! là dedans, les gens ! hé ! ouvrez ! »

Rien ne remua ; alors, s’approchant de la fenêtre, il la poussa avec sa main, et l’air enfermé de la cuisine, l’air tiède plein de senteurs de bouillon chaud, de viande cuite et de choux s’échappa vers l’air froid du dehors. D’un saut, le charpentier fut dans la pièce. Deux couverts étaient mis sur une table. Les propriétaires, partis sans doute à la messe, avaient laissé sur le feu leur dîner ; le bon bouilli du dimanche, avec la soupe grasse aux légumes.