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garçon, un bock !…

— « Après… j’ai passé l’eau et je suis venu ici.

— « Pourquoi as-tu pris cette peine ?

— « Que veux-tu, on ne peut pas rester toute sa vie au quartier Latin. Les étudiants font trop de bruit. Maintenant je ne bougerai plus. Garçon, un bock ! »

Je croyais qu’il se moquait de moi. J’insistai.

« Voyons, sois franc. Tu as eu quelque gros chagrin ? Un désespoir d’amour, sans doute ? Certes, tu es un homme que le malheur a frappé. Quel âge as-tu ?

— « J’ai trente-trois ans, Mais j’en parais au moins quarante-cinq. »

Je le regardai bien en face. Sa figure ridée, mal soignée, semblait presque celle d’un vieillard. Sur le sommet du crâne, quelques longs cheveux voltigeaient au-dessus de la peau d’une propreté douteuse. Il avait des sourcils énormes, une forte moustache et une barbe épaisse. J’eus brusquement, je ne sais pourquoi, la vision d’une cuvette pleine d’eau noirâtre, l’eau où aurait été lavé tout ce poil.

Je lui dis : « En effet, tu as l’air plus vieux que ton âge. Certainement tu as eu des chagrins. »

Il répliqua : « Je t’assure que non. Je suis vieux parce que je ne prends jamais l’air. Il n’y a rien qui détériore les gens comme la vie de café. »