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garçon, un bock !…

Je ne le pouvais croire : « Tu as bien aussi fait la noce ? On n’est pas chauve comme tu l’es sans avoir beaucoup aimé. »

Il secoua tranquillement le front, semant sur son dos les petites choses blanches qui tombaient de ses derniers cheveux : « Non, j’ai toujours été sage. » Et levant les yeux vers le lustre qui nous chauffait la tête : « Si je suis chauve, c’est la faute du gaz. Il est l’ennemi du cheveu. — Garçon, un bock ! — Tu n’as pas soif ?

— « Non, merci. Mais vraiment tu m’intéresses. Depuis quand as-tu un pareil découragement ? Ça n’est pas normal, ça n’est pas naturel. Il y a quelque chose là-dessous.

— « Oui, ça date de mon enfance. J’ai reçu un coup, quand j’étais petit, et cela m’a tourné au noir pour jusqu’à la fin.

— « Quoi donc ?

— Tu veux le savoir ? écoute. Tu te rappelles bien le château où je fus élevé, puisque tu y es venu cinq ou six fois pendant les vacances ? Tu te rappelles ce grand bâtiment gris, au milieu d’un grand parc, et les longues avenues de chênes, ouvertes vers les quatre points cardinaux ! lu te rappelles mon père et ma mère, tous les deux cérémonieux, solennels et sévères.

J’adorais ma mère, je redoutais mon père, et je les respectais tous les deux, accoutumé d’ailleurs à voir tout le monde courbé devant eux.