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miss harriet

Quelque chose se dressa devant moi, comme un fantôme : c’était miss Harriet. En me voyant elle voulut fuir. Mais je l’appelai, criant : « Venez, venez donc, mademoiselle, j’ai un petit tableau pour vous. »

Elle s’approcha, comme à regret. Je lui tendis mon esquisse. Elle ne dit rien, mais elle demeura longtemps immobile à regarder, et brusquement elle se mit à pleurer. Elle pleurait avec des spasmes nerveux comme les gens qui ont beaucoup lutté contre les larmes, et qui ne peuvent plus, qui s’abandonnent en résistant encore. Je me levai d’une secousse, ému moi-même de ce chagrin que je ne comprenais pas, et je lui pris les mains par un mouvement d’affection brusque, un vrai mouvement de Français qui agit plus vite qu’il ne pense.

Elle laissa quelques secondes ses mains dans les miennes, et je les sentis frémir comme si tous ses nerfs se fussent tordus. Puis elle les retira brusquement, ou plutôt, les arracha.

Je l’avais reconnu, ce frisson-là, pour l’avoir déjà senti ; et rien ne m’y tromperait. Ah ! le frisson d’amour d’une femme, qu’elle ait quinze ou cinquante ans, qu’elle soit du peuple ou du monde, me va si droit au cœur que je n’hésite jamais à le comprendre.

Tout son pauvre être avait tremblé, vibré, défailli Je le savais. Elle s’en alla sans que