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miss harriet

j’eusse dit un mot, me laissant surpris comme devant un miracle, et désolé comme si j’eusse commis un crime.

Je ne rentrai pas pour déjeuner. J’allai faire un tour au bord de la falaise, ayant autant envie de pleurer que de rire, trouvant l’aventure comique et déplorable, me sentant ridicule et la jugeant malheureuse à devenir folle.

Je me demandais ce que je devais faire.

Je jugeai que je n’avais plus qu’à partir, et j’en pris tout de suite la résolution.

Après avoir vagabondé jusqu’au dîner, un peu triste, un peu rêveur, je rentrai à l’heure de la soupe.

On se mit à table comme de coutume. Miss Harriett était là, mangeait gravement, sans parler à personne et sans lever les yeux. Elle avait d’ailleurs son visage et son allure ordinaires.

J’attendis la fin du repas, puis, me tournant vers la patronne : « Eh bien, madame Lecacheur, je ne vais pas tarder à vous quitter. »

La bonne femme, surprise et chagrine, s’écria de sa voix traînante : « Qué qu’vous dites là, mon brave monsieur ? vous allez nous quitter ! j’étions si bien accoutumés à vous ! »

Je regardais de coin Miss Harriet ; sa figure n’avait point tressailli. Mais Céleste, la petite bonne, venait de lever les yeux vers moi. C’était une grosse fille de dix-huit ans, rougeaude, fraiche,