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l’héritage

sentait pour lui un grand navire, le vaisseau amiral de toutes les flottes françaises.

Lesable, un peu ému, un peu pâle, balbutia : « Cher maître, je viens vous demander si j’ai démérité en quelque chose ? »

« — Mais non, mon cher, pourquoi me posez-vous cette question-là ?

« — C’est que j’ai été un peu surpris de ne pas recevoir d’avancement cette année comme les années dernières. Permettez-moi de m’expliquer jusqu’au bout, cher maître, en vous demandant pardon de mon audace. Je sais que j’ai obtenu de vous des faveurs exceptionnelles et des avantages inespérés. Je sais que l’avancement ne se donne, en général, que tous les deux ou trois ans ; mais permettez-moi encore de vous faire remarquer que je fournis au bureau à peu près quatre fois la somme de travail d’un employé ordinaire et deux fois au moins la somme de temps. Si donc on mettait en balance le résultat de mes efforts comme labeur et le résultat comme rémunération, on trouverait certes celui-ci bien au-dessous de celui-là ! »

Il avait préparé avec soin sa phrase qu’il jugeait excellente.

M. Torchebeuf, surpris, cherchait sa réplique. Enfin, il prononça d’un ton un peu froid : « Bien qu’il ne soit pas admissible, en principe, qu’on discute ces choses entre chef et employé, je veux