Page:Maupassant - Un vieux (extrait de Gil Blas, édition du 1882-09-26).djvu/7

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que le médecin serra en promettant son concours dévoué.

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M. Daron avait toujours craint la mort d’une étrange façon. Il s’était privé de presque tous les plaisirs parce qu’ils sont dangereux, et quand on s’étonnait qu’il ne bût pas de vin, de ce vin qui donne le rêve et la gaieté, il répondait d’un ton où perçait la peur : « Je tiens à ma vie ». Et il prononçait MA, comme si cette vie, SA vie, avait eu une valeur ignorée. Il mettait dans ce : MA une telle différence entre sa vie et la vie des autres qu’on ne trouvait rien à répondre.

Il possédait, du reste, une façon toute particulière d’accentuer les pronoms possessifs qui désignaient toutes les parties de sa personne ou même les choses qui lui appartenaient. Quand il disait : « Mes yeux, mes jambes, mes bras, mes mains, » on sentait bien qu’il ne fallait pas s’y tromper, que ces organes-là n’étaient point ceux de tout le monde. Mais où apparaissait surtout cette distinction, c’est quand il parlait de son médecin : « Mon docteur ». On eût dit que ce docteur était à lui, rien qu’à lui, fait pour lui seul, pour